La crise financière, économique et sociale

Publié le par JCR

Bonjour à tous,

Je ne résiste pas à afficher sur ce blog la conclusion de Michel Drac que je vous avais recommandé dans un billet précédent. D'ailleurs, je n'oublie pas que j'avais promis de faire un résumé des 60 tableaux qu'il a écrit sur scriptoblog sur cette crise.
Dans cette conclusion, il prend un peu de la hauteur et aborde la crise sous l'aspect philosophique en proposant 5 grilles de lecture:

1- le moment Marxien: les 20 dernières années ont mis en évidence la dynamique inégalitaire spontanée du capitalisme. Je rappelle qu'il y a 20 ans, les 1% les plus riches possédaient 20% des biens, ils en possèdent aujourd'hui 40% ! Que penser d’un système dans lequel les écarts de rémunération, entre un trader improductif et un ouvrier productif, sont de l’ordre de un à mille ?

2- le moment Orwellien: Pour Orwell, le totalitarisme, comme tous les processus d’effondrement de la société dans un chaos mécaniste, prenait en effet sa source non seulement dans le mensonge, mais aussi dans l’existence et la généralisation des types d’hommes qui vivent par et pour le mensonge. Ou pour le dire plus simplement : si le mensonge règne, c’est parce que les menteurs dominent.
On le voit tous les jours! et l'exemple vient malheureusement du plus haut niveau et pas seulement dans ce pays!

3- le moment Weberien: Une des caractéristiques principales du capitalisme étudié et présenté par Michel Drac est sa virtualisation et quand on lit la prose de certains économistes monétaristes, on est frappé de les voir se féliciter du succès du système lorsque celui-ci se sauve, au besoin en faisant crever l’économie réelle. A ce degré d’aveuglement, on peut parler de folie. Ce capitalisme devenu fou parce qu’il a perdu son éthique a été fabriqué à coups de stock-options, au fur et à mesure que la haute finance « achetait » la complicité des élites industrielles, et les cooptait dans le cercle très restreint des très riches, des très, très riches.
Tout ça s'est accéléré ces 10, 20 dernières années, depuis que la globalisation bat son plein.

4- le moment Spenglerien: l’Occident était entré en déclin parce que, fondamentalement, la culture qui lui avait donné naissance, vers l’An Mil, avait fini de dire ce qu’elle avait à dire. Et donc, évidemment, l’Occident n’avait plus rien à dire.

5- le moment apocalyptique: La crise qui vient de nous frapper va en effet nous révéler la nature profonde du système de l’argent . Le système de l’argent est fait pour que l’amour disparaisse du monde, et pour que le pouvoir seul existe comme principe des relations entre les êtres. Voilà de quoi il s’agit. La nature du système de l’argent, c’est la déshumanisation du monde.

Et en conclusion, il pose la vrai question : Cependant, au-delà de la révélation, il y a la question de ce que nous ferons de celle-ci. Allons-nous choisir, avec nos dirigeants complètement dépassés conceptuellement, de sauver le système de l’argent ? Ou bien déciderons-nous de sortir de ce système ?

Pour ma part, je suis et reste très pessimiste et malheureusement, les actes, les explications données par nos dirigeants vont dans la mauvaise direction à savoir tenter de sauver le système. La chute n'en sera que plus terrible! Et elle pourrait avoir lieu à la fin de l'année! Malheureusement, ce sont les plus fragiles qui trinquent le plus et en premier.

Vous trouverez ci-dessous le texte complet du 60° tableau. Prenez le temps de le lire en entier. C'est bien mieux que ce modeste résumé. L'adresse web:

http://www.scriptoblog.com/scriptoblog/index.php?option=com_content&task=view&id=798&Itemid=1

La crise en 60 graphiques (graph 59)
02-06-2009

UN
ESSAI
de
MICHEL DRAC
 

Paru en feuilleton

Sommaire


 (dernier graphe)

Pour conclure ce rapide survol d’une crise qui, je crois qu’à présent c’est clair, ne survient certes pas par hasard (!), je voudrais risquer, si mon lecteur me le permet, une sorte d’échappée belle philosophique – conclue par le graphique le plus parlant qu’on puisse imaginer.

Il s’agit de se demander c’est qu’est cette crise, ce qu’est son essence. Pourquoi survient-elle maintenant ? Nous en avons compris les ressorts matériels, nous en discernons l’explication « côté factuel »… mais prenons de la hauteur, et essayons de voir l’affaire d’un autre point de vue : un point de vue philosophique, précisément.

En guise de conclusion, je vous propose cinq « grilles de lecture », pour expliquer ce qu’est cette crise, ce qu’elle révèle.

a) Le moment marxien

Il est évidemment impossible de ne pas mentionner en premier lieu, parmi les grilles explicatives de la crise, l’analyse marxienne.

Que penser d’un système qui met 10 millions d’Américains à la rue, alors qu’il y aurait 19 millions de logements vides dans le pays ? Que penser d’un système dans lequel les écarts de rémunération, entre un trader improductif et un ouvrier productif, sont de l’ordre de un à mille ? Les salaires des dirigeants de nos grandes entreprises françaises sont déjà obscènes (cf. graphe 23), mais il faut savoir qu’ils sont « raisonnables » (tout est relatif) par rapport à ceux des dirigeants de la Haute Banque anglo-américaine.

On peut dire sans exagérer que si l’objectif secret des dirigeants de l’anglosphère, depuis 20 ans, est de nous persuader de la justesse des constats de Marx sur la dynamique inégalitaire spontanée du capitalisme, c’est une réussite sans précédent !

Cependant, au-delà de ce moment marxien, il faut aller chercher, peut-être, chez d’autres auteurs, les causes des causes mise en lumière par cette première grille d’analyse.

b) Le moment orwellien

George Orwell, comme d’une manière générale presque tous les critiques du capitalisme ne se rattachant pas au marxisme, insista à plusieurs reprises sur le fait que les très grands systèmes fédérateurs ont du mal à perpétuer les types humains qui les ont rendus possibles. En conséquence, à la différence de la plupart des marxistes, il n’imputait pas seulement les vices du capitalisme au système en lui-même, il soulignait que ces vices tenaient aussi à la nature des hommes qu’il produisait– en haut de la structure sociale, mais en bas aussi. Pour Orwell, le totalitarisme, comme tous les processus d’effondrement de la société dans un chaos mécaniste, prenait en effet sa source non seulement dans le mensonge, mais aussi dans l’existence et la généralisation des types d’hommes qui vivent par et pour le mensonge. Ou pour le dire plus simplement : si le mensonge règne, c’est parce que les menteurs dominent.

Le capitalisme américain contemporain, de toute évidence en pleine dérive pré-totalitaire, nous en fournit une superbe illustration. Les Américains qui construisirent l’Amérique, première puissance mondiale, étaient, en bas de la structure sociale, des hommes courageux, physiquement forts, aptes aux tâches les plus lourdes – et, en haut de la structure sociale, des hommes au jugement posé, à l’imagination débordante et, d’une certaine manière, généreuse. Certes, dès l’origine, ce peuple a été brutal (les amérindiens en savent quelque chose). Mais il n’a pas toujours été médiocre.

Les Américains d’aujourd’hui, tels qu’ils ont été façonnés en retour par la puissance américaine que leurs ancêtres avaient rendue possible, ne sont pas taillés sur le même patron. En bas de la structure sociale, ce sont des individus obsédés par la consommation, souvent obèses, intellectuellement et physiquement peu aptes à fournir un travail soutenu. En haut de la structure sociale, ce sont des individus tout aussi médiocres, quoique d’une autre manière : obsédés par l’argent en tant que tel, obsédés par leur apparence et par les apparences, ils n’utilisent leur imagination déclinante que pour renforcer sans cesse la prédation qu’ils exercent.

Un portrait, soit dit en passant, qui « colle » aussi aux Européens – en moins obèses, mais en encore plus médiocres.

c) Le moment weberien

Le sociologue allemand Max Weber est célèbre, entre autres, pour avoir formulé une thèse contestable, mais en tout cas intéressante : le capitalisme aurait une éthique, et cette éthique, à tout prendre, serait entrée en résonnance particulière avec la mentalité protestante. L’éthique de responsabilité induite par le protestantisme aurait poussé le « bon bourgeois », allemand mais aussi américain, à travailler dur, dépenser peu, accumuler le capital, et développer sans cesse les moyens de faire, en la matière, toujours mieux.

Si Weber a raison, alors la crise du capitalisme est, aussi, une crise de son éthique. Et force est de constater que c’est, entre autres choses, bien de cela qu’il s’agit. Une des caractéristiques principales du capitalisme que nous avons étudié ici est en effet sa virtualisation. Le signe monétaire a cessé de rendre compte de la réalité des forces productives, il s’est émancipé à l’égard des catégories fondatrices de l’éthique protestante : travail et capital productif. Le capitalisme anglo-saxon, jadis protestant, a, pour dire les choses simplement, cessé d’être protestant. Il est devenu autre chose, quelque chose qui n’a plus d’éthique, qui n’a plus de raison – en tout cas au regard de ses propres catégories fondatrices. Quelque chose qui est donc, fondamentalement, fou – dénué de raison.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, il faut le reconnaître. Quand on lit la prose de certains économistes monétaristes, on est frappé de les voir se féliciter du succès du système lorsque celui-ci se sauve, au besoin en faisant crever l’économie réelle. A ce degré d’aveuglement, on peut parler de folie.

Le fait de ne plus distinguer le vrai du faux constitue précisément la définition de la folie, et c’est bien ce qui arrive aux monétaristes. Ces gens-là pensent que ce qui est vrai, c’est ce qui est cohérent au sein de leur point de vue : ils confondent leur perception du réel avec la vérité. Cela porte un nom : c’est un délire auto-justifié, un discours en boucle, une paranoïa.

Ce capitalisme devenu fou parce qu’il a perdu son éthique a été fabriqué à coups de stock-options, au fur et à mesure que la haute finance « achetait » la complicité des élites industrielles, et les cooptait dans le cercle très restreint des très riches, des très, très riches. Mais il faut aussi se demander si ce dépassement de l’ancienne contradiction entre Haute Banque et grande industrie n’a pas correspondu, en profondeur, à un autre type de dépassement – une conquête idéologique secrète, presque impalpable. Quelque chose qui, vu de l’extérieur, ressemble à la confiscation de la machine productiviste par une autre machine – une machine purement spéculative, et pas seulement au sens économique du terme.

d) Le moment spenglerien

Le philosophe allemand Oswald Spengler fournit peut-être, à ce propos, une grille de lecture complémentaire. Pour Spengler, qui écrivait au début du XX° siècle, l’Occident était entré en déclin parce que, fondamentalement, la culture qui lui avait donné naissance, vers l’An Mil, avait fini de dire ce qu’elle avait à dire. Et donc, évidemment, l’Occident n’avait plus rien à dire.

Spengler, reprenant la distinction allemande traditionnelle entre culture (règne de la qualité) et civilisation (règne de la quantité), annonçait que l’issue de ce processus serait l’apparition d’un « nouveau césarisme » - une civilisation qui, ayant fini de reproduire la culture pour la perpétuer alors qu’elle avait cessé de s’inventer, en serait réduite à se confondre avec le système de pouvoir qu’elle avait engendré. Fait étonnant, il annonçait pour le début du XXI° siècle le moment précis où, l’Amérique ayant fini de conquérir l’Europe comme Rome avait conquis la Grèce, elle se transmuerait en base d’un Empire occidental entièrement préoccupé du maintien, et si possible de l’expansion de son pouvoir.

N’est-ce pas exactement ce à quoi nous assistons ? L’Occident contemporain est malade de lui-même. Tout indique qu’il ne supporte plus son incapacité à se réinventer. C’est une machine, qui fabrique en série des types humains de plus en plus médiocres, de plus en plus absorbés par la seule question de la quantité. Il conserve certes, temporairement, une indéniable créativité scientifique. Mais à quoi consacre-t-il sa supériorité technologique ? A son armement, presque exclusivement. Quant au reste, cela sert surtout à développer une culture de l’entertainment qui, discrètement, constitue un aveu : l’aveu qu’on n’a plus rien à faire en ce monde, et qu’il faut bien se distraire, puisqu’on s’ennuie.

Comment s’étonner qu’une société appuyée sur le néant, animée uniquement par l’exigence de sa propre reproduction, s’écroule sur elle-même, à la manière de tours jumelles dynamitées ? Au fond, si les classes supérieures ne poursuivent plus qu’un fantasme d’enrichissement illimité, c’est parce que c’est la seule chose qui les occupe. L’Occident est en crise, parce qu’il ne produit plus de beauté. C’est la racine secrète de cette crise, la cause derrière toutes les causes : il n’y a plus rien pour s’occuper, plus d’autre projet que la croissance indéfinie de la puissance.

e) Le moment apocalyptique

En ce sens, on peut enfin voir cette crise comme une Apocalypse. Pas nécessairement comme la fin d’un monde (quoique), mais en tout cas comme une révélation. La crise qui vient de nous frapper va en effet nous révéler la nature profonde du système de l’argent – et peut-être va-t-elle-même nous révéler un peu plus que cela…

La plupart des théories économiques définissent l’argent comme le signe du crédit – et, si l’on s’en tient à ses modalités de création, c’est effectivement ce qu’il est (cf. graphe 3). Mais cette définition, à bien y réfléchir, ne nous apprend rien sur la nature de l’argent. Elle nous dit que l’argent est le signe du crédit, mais comme le crédit lui-même est formulé par le signe monétaire, la définition classique nous dit, tout simplement, que l’argent est le signe de lui-même.

En réalité, si nous voulons comprendre la nature de l’argent, nous devons nous demander ce qu’est son effet. C’est par ses conséquences qu’on peut le saisir comme une cause. Et l’on verra alors que l’argent n’a pas le même effet selon la main qui le tient, et que donc, il n’est pas constamment le signe de la même chose.

Si je détiens un billet de banque nécessaire à la survie d’autrui, alors autrui, pour que je lui donne ce billet, fera ce que je veux qu’il fasse. Forcément.

Par conséquent, si je détiens un billet de banque nécessaire à la survie d’autrui, alors ce billet est le signe du pouvoir que j’exerce sur autrui. Le billet de banque symbolise le fait que je sais ce qu’autrui va faire, parce que je suis en mesure de restreindre les options offertes à lui.

Ce billet de banque symbolise donc, en dernière analyse, ma capacité à plier le monde réel extérieur à ma personne, le monde d’autrui à la représentation de mon monde propre. Le billet de banque, dans ce cas, symbolise tout simplement ma volonté de confondre mon être avec l’Etre, c'est-à-dire, littéralement, de me faire Dieu.

A l’inverse, imaginons maintenant que je donne, sans contrepartie, ce billet à autrui. Le billet est maintenant dans la main d’autrui. Je n’ai aucun moyen de savoir ce qu’il va en faire. Je suis désarmé, face à l’univers des possibles dans lequel il se meut.

Littéralement, autrui devient alors pour moi la présence de Dieu – il me dit, par sa liberté, que mon être n’est pas l’Etre, et que je dois faire avec, composer, dialoguer, aimer. En ce sens, l’argent m’enrichit si je le donne. Il me confère en effet, alors et alors seulement, une richesse d’une autre nature que la richesse matérielle : il m’enseigne ma place dans le monde – et ainsi, il me réconcilie avec lui.

A l’aune de ce constat simplissime, la nature de l’argent nous apparaît clairement : dans ma main, le billet de banque est le signe du pouvoir – dans celle d’autrui, après que j’ai donné, il est le signe de l’amour.

Conséquence : la nature du système de l’argent apparaît aussi clairement. Ce système est fait pour que je ne donne pas – c’est l’évidence, et tout cet essai, au fond, n’a servi qu’à reconstituer cette évidence.

Le système de l’argent est donc fait pour que l’amour disparaisse du monde, et pour que le pouvoir seul existe comme principe des relations entre les êtres. Voilà de quoi il s’agit. La nature du système de l’argent, c’est la déshumanisation du monde.

Et voilà donc, très exactement, ce que la crise actuelle va nous révéler

Cependant, au-delà de la révélation, il y a la question de ce que nous ferons de celle-ci. Allons-nous choisir, avec nos dirigeants complètement dépassés conceptuellement, de sauver le système de l’argent ? Ou bien déciderons-nous de sortir de ce système ?

 

*

 

La question n’est pas théorique. Il ne s’agit pas ici de dire : voyons, réfléchissons sous l’angle philosophique, et restons-en là. C’est une question très pratique, qui va se poser, probablement, à l’horizon 2030, peut-être même avant.

Aller, un dernier graphique pour la route…


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Publié dans économique

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